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Le refus de la mention « sexe neutre » à l’état civil


Dans le système juridique français, la binarité des sexes (masculin ou féminin) apparaît comme une évidence communément admise. Si, dans la majorité des cas, il est possible de trancher, ce choix apparaît néanmoins impossible pour les personnes intersexuées (on parlait autrefois d’hermaphrodites), c’est-à-dire les personnes dont le sexe biologique ne correspond pas aux standards masculin ou féminin. Dans ce cas, faut-il prendre en compte à l’état civil cette ambiguïté sexuelle et s’écarter de la distinction binaire classique ?

La Cour de cassation a eu à répondre à la question du sexe neutre dans une affaire où une personne a été déclarée à l’état civil comme étant « de sexe masculin ». Néanmoins, elle présentait dès sa naissance « une ambiguïté sexuelle qui a perduré tout au long de sa vie », son corps n’étant ni masculin ni féminin au sens des classifications médicales établies, et sur le plan psychique, elle se dit dans l’impossibilité de « se définir sexuellement ». Ainsi, pour son entourage comme pour la communauté médicale, « l’assignation » masculine réalisée à la naissance relève de l’artifice. Le 12 janvier 2015, elle dépose alors une requête en rectification de son acte de naissance afin que soit substituée à la mention « sexe masculin », la mention « sexe neutre » ou, à défaut, « intersexe ».

Le président du Tribunal de grande instance de Tours, par une décision en date du 20 août 2015, fait droit à sa demande et accepte l’inscription de la mention d’un sexe neutre. En effet, pour le tribunal de grande instance, l’article 57 du Code civil relatif à l’inscription à l’état civil n’impose pas un choix entre les mentions « sexe masculin » et « sexe féminin ».

Il a par ailleurs estimé qu’aucun obstacle juridique majeur ne se heurte à la demande de substitution, en précisant que la « rareté de la situation (…) ne remet pas en cause la notion ancestrale de binarité des sexes, ne s’agissant aucunement dans l’esprit du juge de voir reconnaître l’existence d’un quelconque "troisième sexe" ». C’est donc l’impossibilité de rattacher la personne à l’un des deux sexes qui conduit à ordonner la substitution de la mention « sexe neutre » à celle de « sexe masculin ». Cette mention a été préférée à celle d’« intersexe » qui pourrait conduire à la reconnaissance d’un nouveau genre.

Cette solution n’est néanmoins pas reprise par la Cour d’appel d’Orléans saisie sur appel du procureur de la République, qui, par un arrêt du 22 mars 2016, juge que la demande en substitution ne peut être accueillie pour deux motifs principaux. D’une part, les juges d’appel considèrent qu’en l’absence « de dispositions législatives et réglementaires [permettant] de faire figurer, à titre définitif, sur les actes d’état civil une autre mention que sexe masculin ou sexe féminin, même en cas d’ambiguïté sexuelle », « admettre la requête [de l’intéressé] reviendrait à reconnaître, sous couvert d’une simple rectification d’état civil, l’existence d’une autre catégorie sexuelle, allant au-delà du pouvoir d’interprétation de la norme du juge judiciaire et dont la création relève de la seule appréciation du législateur ». D’autre part, en plus de l’impossibilité d’inscrire un troisième sexe, la Cour d’appel avance le fait que le requérant serait un homme au regard de « apparence physique » et de son « comportement social ». Dès lors, pour la Cour d’appel, le sexe ne pourrait dépendre que de l’apparence et du comportement social, sans tenir compte du psychisme de l’individu.

Appelée à se prononcer sur la question, la Cour de cassation, par un arrêt du 4 mai 2017, reprend l’argumentaire de la Cour d’appel et rejette le pourvoi formé par le requérant au regard du droit au respect de la vie privée garanti par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Tout d’abord, la Cour affirme que « la loi française ne permet pas de faire figurer, dans les actes de l’état civil, l’indication d’un sexe autre que masculin ou féminin ». Il n’existe donc que deux mentions relatives au sexe : masculin ou féminin. Et lorsqu’il n’est pas possible de déterminer le sexe immédiatement à la naissance, il faut se référer à l’article 55 de la circulaire du 29 octobre 2011 qui n’autorise à différer la mention du sexe de l’enfant à l’état civil que pour une durée d’un à deux ans. Néanmoins, cette circulaire ne prévoit que l’hypothèse d’une impossibilité provisoire de trancher entre l’un ou l’autre sexe, et non une impossibilité durable. C’est pourquoi le tribunal de grande instance de Tours avait souligné un « vide juridique » permettant d’autoriser la mention du sexe neutre.

Ensuite, le requérant ayant soutenu qu’il serait contraire au droit au respect de sa vie privée de lui refuser la mention d’un sexe neutre, la Cour de cassation a opéré un contrôle de proportionnalité. La Cour reconnaît ainsi que « l’identité sexuelle relève de la sphère protégée par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme » (voir CEDH, 11 juillet 2002, « Goodwin c/ Royaume-Uni), et que la binarité sexuelle prévue par la loi française constitue une ingérence dans le droit du requérant de faire établir les détails de son identité. Toutefois, cette binarité poursuit un but légitime car elle est « nécessaire à l’organisation sociale et juridique, dont elle constitue un élément fondateur ». En outre, la reconnaissance par le juge d’une troisième catégorie de sexe « aurait des répercussions profondes sur les règles du droit français construites à partir de la binarité des sexes et impliquerait de nombreuses modifications législatives de coordination ».

Dès lors, pour la Cour de cassation, comme pour la Cour d’appel d’Orléans, les magistrats n’ont pas le pouvoir de créer de nouvelles mentions. Le débat de la consécration d’un sexe neutre n’a pas à être tranché par le juge, mais par le législateur, sommé par la Cour de prendre ses responsabilités dans celui-ci.

Enfin, la Cour de cassation considère que dans le cas du requérant, l’atteinte au droit au respect de sa vie privée n’est pas disproportionnée au regard du but légitime poursuivi par la binarité. En effet, si le requérant présente une ambiguïté sexuelle, la cour d’appel a constaté que son apparence physique est masculine, qu’il s’est marié en 1993 et qu’il a adopté un enfant avec son épouse, de sorte que « aux yeux des tiers », celui-ci avait bien « l’apparence et le comportement social d’une personne de sexe masculin, conformément à l’indication portée dans son acte de naissance ». Cet argument, déjà invoqué par la Cour d’appel, apparaît discutable en ce que, d’une part, il véhicule des stéréotypes, et d’autre part, il nie la réalité biologique, le requérant n’étant biologiquement ni homme ni femme, et se focalise sur l’apparence du requérant.

En refusant l’inscription de la mention « sexe neutre » dans les actes d’état civil, la Cour de cassation entend donc maintenir l’acception traditionnellement binaire de l’état des personnes quant à leur sexe. Toutefois, il convient de noter que cette dualité n’existe pas dans tous les pays et, en 2013, l’Allemagne a été le premier pays en Europe à reconnaître le sexe neutre.

De plus, ce refus de l’inscription « sexe neutre » dans les actes de l’état civil peut ne pas être définitive. En effet, l’avocate du requérant a annoncé que son client entendant porter l’affaire devant la Cour européenne des droits de l’homme. Or, un recours en réexamen des décisions revêtues de l’autorité de la chose jugée est possible en cas de condamnation par la Cour européenne des droits de l’homme (article 452-1 du Code de l’organisation judiciaire). Dès lors, cette question n’est pas encore définitivement tranchée en droit français. Par ailleurs, cette solution apportée par la Cour de cassation ne vaut que dans l’ordre judiciaire et il n’est pas certain, à ce jour, que le Conseil d’Etat aille dans le même sens.

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